Marseille ma ville

Avec le temps capricieux de ces derniers jours, j'ai décidé de profiter des rayons de soleil de cette après-midi pour me promener sur la Canebière et aller lire à une terrasse du Vieux-Port. Mais la fraîcheur du soir reprit le dessus dès que le soleil a commencé à se coucher. Je décide donc de rentrer, satisfaite de ma petite sortie. Je me rapproche du Carrefour City et me rappelle une envie de sucré. Une petite halte et voilà des œufs et du lait frais pour faire des crêpes à la maison. A la caisse, je retrouve le Sénégalais qui n'en revient toujours pas que je parle wolof. Il a un nouveau collègue qui est tout aussi ravi et étonné de mon bout de sénégalité. Quelques échanges souriants puis un au-revoir, je reprends le chemin de la maison en me disant que ça fait du bien d'être entourée des siens. 
Plus loin, je remarque un homme au teint hâlé qui me regarde intensément, je regarde derrière moi pour m'assurer que ce n'est pas moi qu'il vise. Mais non, c'est bien moi qu'il observe. J'avance et voit qu'il me regarde avec un sourire appétissant qui accueille de la bonne chair. Je le toise avec mépris et ignore son bonsoir murmuré si près. Je continue de marcher en pensant à ces méditerranéens, toutes rives confondues, qui se permettent d'observer les femmes comme si elles étaient des seins et culs ambulants, rien d'autre. Et la sensation est pire pour moi, car je vois dans leur regard qu'ils se croient encore plus permis parce qu'à leurs yeux la femme noire que je suis vaut encore moins. 


Quelques pas plus loin, je me sens comme épiée et regarde derrière moi pour voir le même homme au regard salivant. Je me rapproche de chez moi et me retourne pour constater qu'il est encore sur mes traces. Je dépasse mon immeuble et continue de marcher vers une autre rue pour m'assurer qu'il ne me suit pas. Cette fois, c'est clair, il me suit bien. Désormais, je me demande à quel point je suis en danger et réfléchis à mes options. Je remarque un homme que je connais de l'autre côté de la rue, je le salue et hésite à lui demander de l'aide. Est-ce que je retourne au Carrefour City, je pourrais demander au Sénégalais sympa et ses amis de menacer mon suiveur? 
C'est là que ma peur se transforme en colère. Non, non, j'en ai marre d'être à la merci de ces prédateurs qui prennent et prennent et ne me laissent que honte et culpabilité. J'en ai assez de me sentir impuissante et d'attendre qu'on vienne me délivrer de ce fardeau. Je serre les poings et marche d'un pas décidé vers la Canebière, parce qu'il y a plus de monde. Arrivée à l'angle de Maupetit, je m'arrête et me colle au mur pour le surprendre. Les secondes passent comme des minutes interminables. Je regarde autour de moi, observe les passants, ils doivent se demander ce que je fais là. Je sors mon téléphone et fais mine d'attendre quelqu'un. L'homme finit par arriver, il est coupé court dans son élan quand il me voit arrêtée dos au mur. Il parait perplexe, se demande s'il a une ouverture à nouveau, revoilà son sourire carnassier. Pendant un instant, mon courage fléchit et je ne sais plus quoi faire. Mais qu'est-ce qui m'a pris? 
Je me ressaisis et lui dis que je suis là. Il semble ne pas comprendre, c'est une invitation qui n'en est pas une. Je réitère que je suis là, je l'attendais puisqu'il tenait tant à me suivre alors me voilà. Cette fois, c'est clair pour lui, il voit que je ne l'accueille pas à bras ouverts et me dépasse pour aller se poster plus loin devant la librairie. J'avance vers lui et lui dis de continuer de marcher. La poursuite n'est pas finie puisque c'est désormais mon tour. Il tenait tant à me suivre, eh bien il allait goûter un peu de sa propre médecine. Et là, monsieur mimique un accent ibérique et dit en français qu'il ne comprend qu'espagnol. Mon œil, oui! J'insiste et persiste qu'il me suivait mais il me raconte en bon français qu'il allait voir un ami sur le même chemin que moi, rien d'autre.
Je le menace qu'il va avoir la raclée de sa vie s'il ne marche pas. Je hausse le ton et lui répète ma menace, allez savoir où j'allais trouver le courage de le frapper. Je ne sais pas si ma menace a fait son effet ou s'il a compris que c'était peine perdue ou parce que des passants commençaient à prêter attention, mais notre énergumène s'est décollé de la vitrine et a commencé à marcher puis je l'ai suivi. C'était son tour de regarder derrière lui, voir que j'étais encore là et sentir que je lui prenais son espace. Il s'est dépêché de traverser la rue en plein trafic et m'a jeté un regard moqueur. J'ai attendu que les voitures ralentissent puis j'ai traversé la rue. Il commençait à hâter le pas, moi je suivais la cadence. Il se retournait pour voir si j'étais encore là et j'étais toujours là. 


C'est là que ma cousine m'appelle et je réponds pour accueillir une énergie positive. Elle demande si elle ne me dérange pas, je lui dis ce que je fais: je suis un homme qui me suivait pour lui donner une dose de son propre médicament. Elle rit et dit que cet homme ne sait pas sur qui il est tombé. Cela me ragaillardit et je continue de marcher après lui jusque sur le boulevard d'Athènes. Ma cousine et moi passons en conversation vidéo, je deviens moins attentive à ma proie car très vite je la perds des yeux. Je décide donc de m'arrêter là, avant de retourner la situation à son avantage dans une rue plus calme. Je me dis qu'il en a eu assez comme ça et moi aussi d'ailleurs. Je rebrousse chemin en écoutant des musiques qui sont passées dans la série Insecure. Au feu rouge, je me rappelle la citation marquée sur mon tote bag.
Women belong in all places where decisions are made.
Les villes semblent faites pour les hommes. Beaucoup se comportent dans les espaces publics comme s'ils en étaient les maîtres et les femmes, de viles servantes de leurs appétits sexuels. Je ne vais plus rester silencieuse lorsque je me sens oppressée. Alors vous êtes prévenus, harceleurs de rue, machos, sexistes et autres à l'ego fragile. La place des femmes est partout où les décisions sont prises et partout où la vie se passe, la rue y compris. Marseille c'est ma ville, je l'ai choisie et j'y prends ma place.

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